Présentation du blogue

Onze finissants d’Arts et Lettres accompagnés de deux enseignants, Christian Braën et Guy Bourbonnais, suivront les traces de Haruki Murakami, auteur à l’étude sur lequel ils se sont penchés avec ardeur, au Japon. Suivez-les à travers leurs textes, témoignages de découvertes, d’éblouissement et d’éveil. Ce voyage est pour eux l’occasion de se plonger concrètement dans l’univers ambivalent et onirique de Murakami.

mercredi 15 juin 2011

Volutes de Tokyo

« Un autre gin tonic, Jacky », lançai-je au sympathique barman hier soir alors que nous avions fait la hasardeuse découverte d’un petit bar de la taille d’un placard à balai dans une rue retirée d’un quartier animé de Tokyo. « Call me Jacky », nous lance le barman un peu timide derrière un large comptoir de bois éclairé par une lumière chaleureuse qui projette notre ombre sur les murs quelque peu jaunis par la fumée des cigarettes qui s’évapore en un épais nuage au-dessus de ma tête.  Je toussote un peu, n’étant pas habituée de baigner dans la fumée secondaire dans un lieu aussi clos lors d’une sortie. Un hautparleur crache  une mélodie reggae qui crée une atmosphère de détente instantanée après une longue journée de transport.

La journée du lendemain se résume à une virée de shopping dans le quartier de Ginza et le spectacle de théâtre du type Kabuki.  Cette dernière activité me laisse planer dans un sentiment de doute et d’incompréhension. Les codes théâtraux ne correspondent pas du tout à ce que je connais du théâtre occidental.  Les acteurs semblent, à première vue, jouer faux et grossièrement dans leur kimono fleuri et sous leur maquillage de geisha. Vous avez bien lu, aucune actrice n’est présente sur scène; même les personnages féminin son tenus par des hommes. Parmi les spectateurs,  les cris de spectateurs explosent à travers la salle. Leur attitude, habituellement si calme, me trouble lorsque des encouragements et des applaudissements sont lancés pêle-mêle à un moment de la pièce qui me semble totalement aléatoire.

La soirée se termine dans un restaurant de grillades. Les types de viandes sont difficilement identifiables. Je me rends compte, en me pourléchant les babines, que je viens de manger le cœur d’un quelconque animal! 

PAR ÉLISE PROVENCHER

Tokyo

14 juin

Les gens défilent, tous différents les un des autres, ils vont à une vitesse continue, arrêtés seulement par une lumière rouge. Les jupes virevoltent, les vestons se frôlent. Tous vont dans une destination quelconque. Décidés à poursuivre leur destin, ce n’est pas la foule dans la rue, ni les trains, remplis à pleine capacité qui vont les arrêter.

Nous, touristes québécois, à la recherche de nouvelles aventures, cheminons à travers la voie qu’ils se tracent, à la recherche d’un nouveau monde, complètement changé de celui que nous avons quitté il y a maintenant deux semaines. Nous tentons de prendre la moindre particule de pays qu’ils nous donnent et nous en profitons le plus possible.

Après quelques heures de magasinages, nous sommes allés dans un théâtre Kabuki typiquement japonais. Alors que nous tentions de comprendre le sens des pièces (puisqu’il y en avait trois en tout), les acteurs jouaient sur scène et plusieurs spectateurs, eux dormaient, la tête penchée de côté, sommeillant, perdus dans leurs rêves. De la façon dont nous étions placés, la moitié de la scène nous était cachée, alors la pièce perdait en quelque sorte un peu de charme. L’expérience était enrichissante, nous avons pu, à la suite, comparer le théâtre que nous avons toujours connu, à celui-ci d’un style très différent. Le théâtre japonais m’a semblé moins convaincant que ne l’est celui du Québec. En fait, les spectateurs viennent voir un acteur en particulier, ce n’est pas la pièce qui les intéresse, mais la personne qui joue la pièce.

À la suite de cette démonstration d’art, Christian a tenté de nous trouver, pendant plusieurs instants, un restaurant où on nous servirait des brochettes. Finalement, nous avons choisi un restaurant où tout était écrit en japonais, même les prix. Alors il a commandé un peu n’importe quoi, au hasard, son ‘’petit doigt’’ lui disant que cela allait être bon. Il ne s’est pas trompé, plusieurs sortes de mets nous ont été apportées. Des brochettes de poulet, de bœuf, de porc et de viande que nous ne connaissions pas ont atterri sur notre table.
Nous avons arrêté de manger, seulement lorsque nous sentions que nous allions exploser. Le souper que nous avons mangé ce soir était notre avant dernier souper avant notre retour au Québec et nous en avons, je crois pour la plupart, tous profité.

PAR SARAH-KIM BOUDREAULT

La Barque solitaire

Tetsuo se  redresse soudainement sur son lit, suintant et essoufflé. Le jeune homme enfile ses pantoufles et va se rafraîchir les idées à travers le terrain de camping de l’île de Naoshima. Le ciel bleuté se répand comme une immense peinture à travers la nuit paisible de ce mois de juin. Le délicat clapotis des vagues brise le silence pesant, lourdement suspendu dans l’air. Alors qu’il sort de la salle de bain, Tetsuo croit apercevoir sur le rivage une lueur perçant les ténèbres épaisses.  L’homme s’approche de la plage et remarque la présence d’une petite barque près du quai.  Au fond de celle-ci, une petite lampe de poche encore ouverte éclaire la page couverture de L’Autre côté du miroir, posé ouvert sur le banc de la petite embarcation.  Étrange coïncidence, Tetsuo venait de finir ce roman la semaine dernière. Le jeune homme finit par pénétrer dans la barque et découvre sous un banc ce qui semble être l’itinéraire d’un voyage. Départ à Tokyo, arrêt à Kyoto, passage à Hiroshima; ces destinations sont  exactement les mêmes que les siennes. Tetuso, après avoir attendu que le mystérieux propriétaire du bateau ne revienne, retourne se coucher avec une impression de déjà vu qui hante les recoins de son esprit. Au réveil, la petite barque a  disparu sans laisser de trace.
Le lendemain soir, Tetsuo profite d’une soirée entre amis bien arrosée afin de célébrer le début des vacances. Alors que le groupe est aggloméré autour d’un feu de camp et d’une pyramide de bières, le jeune homme perçoit au loin, sur la plage, un petit point rouge d’où s’envole en véritables arabesques une fumée blanche et diaphane. Des motifs de tourbillons s’effritent à travers un ciel constellé d’étoiles. On aurait dit qu’une main invisible a lancé un amas de confettis brillants sur une immense toile opaque.  Tetsuo décide de quitter son groupe d’amis pour s’approcher de ce point rougeoyant. Alors qu’il retrouve l’endroit sur un rocher plat à l’extrémité de la plage, il ne découvre à ses pieds qu’une cigarette Malboro encore bien fraîche et fumante. Aucune trace du mystérieux inconnu. Il fouille dans sa poche, tire un paquet de Malboro et s’allume une cigarette en regardant les vagues recracher des amas d’algues gluantes sur la plage.

Lors de sa dernière soirée passée à Naoshima, Tetsuo tente le tout pour le tout afin de découvrir l’identité du véritable spectre qui semble hanter la plage depuis deux nuits. Il se positionne sur le quai et attend patiemment l’éventuel indice qui pourrait le guider vers l’énigmatique homme. Dans les alentours de minuit, Tetsuo croit apercevoir une ombre à travers les rochers au bout de la plage. Le jeune homme, préalablement tout habillé de noir, se faufile sans faire du bruit vers cet endroit. Le paysage sombre des montagnes se liquéfie à travers la sombre nuit qui enveloppe le camping.  Tetuso finit par s’approcher de la silhouette d’un homme accroupi sur le rebord d’un abrupt rocher. Les volutes de fumée d’échappent de sa cigarette déjà bien entamée. « Bonsoir », lance l’inconnu avant même que Tetsuo ne se soit approché de lui. « Bonsoir », lui réplique le jeune homme à la fois surpris et blessé dans son orgueil, l’homme ayant senti sa présence à distance.  Tetsuo vient s’asseoir à côté de l’inconnu et lui découvri une physionomie très banale : traits réguliers, nez droit, cheveux noirs et raides.  Après plusieurs minutes de silence oppressant, Tetsuo finit par demander à l’homme ce qu’il vient faire sur l’île de Naoshima. « Pour fuir , lui répond naturellement l’inconnu, fuir les collègues qui rêvent toute l’année aux deux semaines qu’ils prendront pour faire la crêpe à Hawaï, fuir ma femme qui batifole deux fois par semaine avec son associé lors d’un « dîner d’affaires », fuir mes enfants qui n’attendent que leur cadeau lorsque je reviens de voyage. Ça te dirait de prendre une marche sur la plage avec moi?
-Bien sûr, je crois que moi aussi, je  cherche un peu à fuir ».

Le lendemain matin, ne retrouvant pas leur ami dans sa tente, les compagnons de Tetsuo font le tour du terrain de camping.  Sur la plage près du quai, ces derniers retrouvent presque totalement enfoui dans le sable un exemplaire de L’autre côté du miroir.  Les pages bosselées dégoulinent d’une encre diluée. À partir de là, les compagnons observent sur le sable humide une seule trace de paire de pieds qui débute du rivage et qui aboutit dans la mer. Les vagues viennent lentement effacer la dernière présence de Tetsuo.

Fin. 

PAR ÉLISE PROVENCHER