Présentation du blogue

Onze finissants d’Arts et Lettres accompagnés de deux enseignants, Christian Braën et Guy Bourbonnais, suivront les traces de Haruki Murakami, auteur à l’étude sur lequel ils se sont penchés avec ardeur, au Japon. Suivez-les à travers leurs textes, témoignages de découvertes, d’éblouissement et d’éveil. Ce voyage est pour eux l’occasion de se plonger concrètement dans l’univers ambivalent et onirique de Murakami.

mercredi 15 juin 2011

La Barque solitaire

Tetsuo se  redresse soudainement sur son lit, suintant et essoufflé. Le jeune homme enfile ses pantoufles et va se rafraîchir les idées à travers le terrain de camping de l’île de Naoshima. Le ciel bleuté se répand comme une immense peinture à travers la nuit paisible de ce mois de juin. Le délicat clapotis des vagues brise le silence pesant, lourdement suspendu dans l’air. Alors qu’il sort de la salle de bain, Tetsuo croit apercevoir sur le rivage une lueur perçant les ténèbres épaisses.  L’homme s’approche de la plage et remarque la présence d’une petite barque près du quai.  Au fond de celle-ci, une petite lampe de poche encore ouverte éclaire la page couverture de L’Autre côté du miroir, posé ouvert sur le banc de la petite embarcation.  Étrange coïncidence, Tetsuo venait de finir ce roman la semaine dernière. Le jeune homme finit par pénétrer dans la barque et découvre sous un banc ce qui semble être l’itinéraire d’un voyage. Départ à Tokyo, arrêt à Kyoto, passage à Hiroshima; ces destinations sont  exactement les mêmes que les siennes. Tetuso, après avoir attendu que le mystérieux propriétaire du bateau ne revienne, retourne se coucher avec une impression de déjà vu qui hante les recoins de son esprit. Au réveil, la petite barque a  disparu sans laisser de trace.
Le lendemain soir, Tetsuo profite d’une soirée entre amis bien arrosée afin de célébrer le début des vacances. Alors que le groupe est aggloméré autour d’un feu de camp et d’une pyramide de bières, le jeune homme perçoit au loin, sur la plage, un petit point rouge d’où s’envole en véritables arabesques une fumée blanche et diaphane. Des motifs de tourbillons s’effritent à travers un ciel constellé d’étoiles. On aurait dit qu’une main invisible a lancé un amas de confettis brillants sur une immense toile opaque.  Tetsuo décide de quitter son groupe d’amis pour s’approcher de ce point rougeoyant. Alors qu’il retrouve l’endroit sur un rocher plat à l’extrémité de la plage, il ne découvre à ses pieds qu’une cigarette Malboro encore bien fraîche et fumante. Aucune trace du mystérieux inconnu. Il fouille dans sa poche, tire un paquet de Malboro et s’allume une cigarette en regardant les vagues recracher des amas d’algues gluantes sur la plage.

Lors de sa dernière soirée passée à Naoshima, Tetsuo tente le tout pour le tout afin de découvrir l’identité du véritable spectre qui semble hanter la plage depuis deux nuits. Il se positionne sur le quai et attend patiemment l’éventuel indice qui pourrait le guider vers l’énigmatique homme. Dans les alentours de minuit, Tetsuo croit apercevoir une ombre à travers les rochers au bout de la plage. Le jeune homme, préalablement tout habillé de noir, se faufile sans faire du bruit vers cet endroit. Le paysage sombre des montagnes se liquéfie à travers la sombre nuit qui enveloppe le camping.  Tetuso finit par s’approcher de la silhouette d’un homme accroupi sur le rebord d’un abrupt rocher. Les volutes de fumée d’échappent de sa cigarette déjà bien entamée. « Bonsoir », lance l’inconnu avant même que Tetsuo ne se soit approché de lui. « Bonsoir », lui réplique le jeune homme à la fois surpris et blessé dans son orgueil, l’homme ayant senti sa présence à distance.  Tetsuo vient s’asseoir à côté de l’inconnu et lui découvri une physionomie très banale : traits réguliers, nez droit, cheveux noirs et raides.  Après plusieurs minutes de silence oppressant, Tetsuo finit par demander à l’homme ce qu’il vient faire sur l’île de Naoshima. « Pour fuir , lui répond naturellement l’inconnu, fuir les collègues qui rêvent toute l’année aux deux semaines qu’ils prendront pour faire la crêpe à Hawaï, fuir ma femme qui batifole deux fois par semaine avec son associé lors d’un « dîner d’affaires », fuir mes enfants qui n’attendent que leur cadeau lorsque je reviens de voyage. Ça te dirait de prendre une marche sur la plage avec moi?
-Bien sûr, je crois que moi aussi, je  cherche un peu à fuir ».

Le lendemain matin, ne retrouvant pas leur ami dans sa tente, les compagnons de Tetsuo font le tour du terrain de camping.  Sur la plage près du quai, ces derniers retrouvent presque totalement enfoui dans le sable un exemplaire de L’autre côté du miroir.  Les pages bosselées dégoulinent d’une encre diluée. À partir de là, les compagnons observent sur le sable humide une seule trace de paire de pieds qui débute du rivage et qui aboutit dans la mer. Les vagues viennent lentement effacer la dernière présence de Tetsuo.

Fin. 

PAR ÉLISE PROVENCHER

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire