Présentation du blogue

Onze finissants d’Arts et Lettres accompagnés de deux enseignants, Christian Braën et Guy Bourbonnais, suivront les traces de Haruki Murakami, auteur à l’étude sur lequel ils se sont penchés avec ardeur, au Japon. Suivez-les à travers leurs textes, témoignages de découvertes, d’éblouissement et d’éveil. Ce voyage est pour eux l’occasion de se plonger concrètement dans l’univers ambivalent et onirique de Murakami.

mardi 21 juin 2011

Bilan de mon voyage

Cela fait quelques jours à peine que notre avion s’est posé sur le sol québécois. Je m’ennuie déjà de tous les beaux moments que j’ai vécus dans ce pays qui, deux semaines avant, ne m’était connu que par l’œuvre de Murakami. Chaque fois que j’y repense je me dis qu’il y a quelques mois seulement, je comptais le nombre de jours qu’il me restait avant de m’envoler, de découvrir Tokyo, Kyoto, Iroshima et Naoshima. Et maintenant je me dis : voilà c’est déjà fini, tu es maintenant de retour dans ta ville natale.

En sortant de l’aéroport, j’ai vu toutes les réparations routières qu’on croisait sur notre chemin et j’avais presque le gout de sortir et de courir pour reprendre l’avion et retourner dans ce paradis terrestre qu’est le Japon. Oui, je me mets à repenser à tout ce que j’ai vécu et vu et j’ai l’impression que même s’il n’est pas parfait, le Japon est devenu mon paradis à moi. Dès le moment où je tombe dans la lune, à n’importe quelle heure de la journée, je commence à penser à Kyoto, à ces gens généreux qui nous ont accueillis, comme si nous étions des membres de leur famille, et qui auraient tout fait pour parfaire notre bonheur; tous les petits gestes qu’ils pouvaient accomplir pour nous rendre service, ils les auraient faits. Cette auberge est devenue un peu ma deuxième maison pendant les cinq nuits de notre passage à Kyoto. On m’aurait demandé d’y vivre et j’aurais dit oui, sachant tout ce que cette ville avait à nous offrir. Des temples, encore des temples, le Pavillon d’or -- mon préféré – et le sentiment d’être en paix avec la nature, avec soi, dans le silence, la sérénité.. Tout le monde devrait avoir droit, un jour, de connaître le bonheur que procure le Japon, le sentiment de se trouver dans un endroit si familier et si inconnu à la fois, si proche et si loin de soi.

Dès le moment où l’on pose un pied au Japon, on se sent comme chez soi, on a l’impression d’être dans un rêve.  Des gens que l’on ne connaît pas nous aiment et nous accueillent comme si nous étions des amis de longue date, la confiance qu’ils ont en nous dès le moment où ils croisent notre regard, l’insouciance qu’on a en entrant de ce monde qu’est le Japon. 

À la fin du voyage il est vrai que j’avais hâte de retrouver mon lit ainsi qu’un bon verre de lait, mais pour rien au monde je regrette ces deux semaines passées dans ce pays étranger devenu un peu plus familier à mes yeux. La joie de découvrir, d’apprendre, de voir toutes ces choses nouvelles et magnifiques qui resteront gravées en moi, me remplissent d’une grande joie. Il est vrai que je peux les voir et les montrer en photos, mais jamais ceux qui n'y ont pas voyagé ne contempleront la même vue que j’avais sur l’océan, le jour de notre arrivée à Naoshima. Personne ne pourra voir le mouvement des vagues, le reflet du soleil sur celles-ci. Ils ne pourront pas constater l’immensité qui se trouvait devant moi, autour de moi, en moi. Ces moments-là, ils restent en moi, et mes proches ne peuvent qu’imaginer ce que j’ai vécu, car ils ne l’ont pas vu.  Je leur souhaite un jour, de voir ce que j’ai vu, de vivre ce que j’ai vécu et qu’ils se rendent compte de l’immensité du monde qui nous entoure, de sa beauté.

Demain, la routine recommencera. Demain le boulot! J’aurais voulu que ça dure plus longtemps, savourer encore quelques temps ces journées d’humidité et de chaleur, voir une nouvelle merveille que propose le Japon, apprendre encore un peu plus sur leur vie, rester toujours un jour de plus, ne pas comprendre ce que les gens autour de moi disent, sourire à une japonaise qui croise mon regard et qui me lance un sourire en coin, être accueillie comme une amie alors que je suis une pure inconnue, venue d’un pays qui se trouve de l’autre côté du globe.

Je suis revenue au Québec. J’ai retrouvé ma famille, mes amis, mon lit, un verre de lait. Mais je suis aussi partie, partie d’un pays qui m’avait adoptée le temps d’un voyage. Il s’est révélé à moi, mais il m’a aussi fait grandir. Il m’a appris sur moi. Je suis partie, mais j’espère un jour, le retrouver, recommencer à le découvrir, toujours un peu plus. 

PAR SARAH-KIM BOUDREAULT

Le retour

Je ne sais plus du tout quel jour on est. Les aiguilles du cadran semblent tourner à l’envers. Alors que le soleil est à son zénith, mon corps s’alourdit et je finis par tomber dans un lourd sommeil. Alors que la lune brille de mille feux dans un ciel sans étoiles, j’erre seule dans ma maison silencieuse et enveloppée par les ténèbres.  Depuis mon retour, je suis tombée dans un véritable abysse temporel.  Les deux derniers jours depuis mon retour ne semblent former qu’un et les heures défilent à un rythme inconstant.  Mon voyage des deux dernières semaines m’apparaît par moments comme un doux rêve dont je viens de m’extirper.

À travers les images désordonnées et fragmentés de mon voyage qui m’apparaissent comme un véritable fractal, je revois les villes que mes pieds ont foulées, les visages accueillants et souriants que j’ai croisés, nos chambres d’hôtel  dignes d’un véritable capharnaüm et les cernes bleutées sur les visages de mes compagnons toujours prêts, malgré la fatigue, à partir à la découverte de la jungle urbaine de Tokyo ou de temples zens de Kyoto.

Je revois plus nettement Tokyo, première et dernière ville avec laquelle j’ai eu un contact lors de mon périple au Japon.  Me revoilà à la sortie de la gare de Shibuya.  La foule dense et compacte au pied des gratte-ciels ambitieux m’aspire d’un seul coup et m’entraîne dans son tourbillon effréné. Traverser une intersection représente alors pour moi toute une épreuve de force! Les grands magasins défilent de chaque côté de la rue, Zara, Gap, H&M, décevant…  L’insupportable tube Price Tag m’irrite les tympans lorsque je l’entends à répétition. Je bifurque dans une petite rue qui me mène vers le quartier de Harajuku… impressionnant! De charmantes boutiques et des friperies vintage se révèlent comme de véritables cavernes D’Ali Baba.  Je prends également un plaisir fou à engloutir l’une de ces immenses crêpes que l’on vend à chaque coin de rue fourrées de crème fouettée et de caramel dégoulinant bien chaud. Décadent!  Tokyo c’est également la ville du karaoké. J’ai encore en acouphène l’écho des voix éraillées de mes pairs qui s’époumonent en interprétant des succès pop des dernières décennies dans un décor quelque peu kitsch.  Tokyo, au-delà de son caractère grandiose et superficiel, capte nécessairement l’attention de ses visiteurs en stimulant leurs sens par ses couleurs éclatantes, ses odeurs fortes et inconnues se faufilant en dehors des restaurants et par ses sonorités étourdissantes.

Je me rappelle également Kyoto, une ville qui présente un équilibre parfait entre la tradition et la modernité. La démarche délicate et quelque peu coincée de femmes vêtues de kimono aux côtés de fashionistas perchées sur leurs talons aiguilles en plein centre-ville m’étonne au premier coup d’œil. C’est à cet  endroit que l’union de notre groupe de voyageurs s’est solidifiée. Je nous revois autour de la table de notre petite auberge ou bien autour du jardin papotant de tout et de rien lors des petits déjeuners.   C’est également à ce moment que nos professeurs accompagnateurs ont laissé tomber leur façade d’autorité pour devenir, au sein de notre groupe, des compagnons de voyage. Je me remémore la visite de temples parfois sublimes, parfois dotés d’une simplicité renversante.  Une toute nouvelle sensibilité à la beauté de la nature et à la capacité de création humaine se sont révélés à moi lors de ces découvertes.  La dernière image qui me reste de cette charmante ville est celle de notre sympathique aubergiste au cœur démesurément grand qui nous envoie la main au pas de son auberge alors que le groupe quitte définitivement l’endroit sur le bord d’une étroite rue bordée d’un petit ruisseau.

Je revois Hisroshima comme une ville qui, en surface, ne laisse paraître aucune cicatrice des terribles événements passés.  Une visite au Musée de la Paix me fait comprendre que les blessures ne sont pas totalement refermées; on se souvient encore.  Plus de soixante ans après la tragédie du 6 août 1945, la bombe nucléaire laisse une trace amère de souffrance à travers les générations. Les arbres ont poussé du sol calciné, l’eau de la rivière est redevenue translucide, le soleil a percé  les nuages de fumée, mais l’horreur et la souffrance soufflent encore parmi les feuilles, coulent encore à travers le courant et flottent toujours dans le ciel.

La visite de l’île de Naoshima représente pour moi une parenthèse agréable à travers le voyage. Alors que je me trouvais dans la société la plus technologique de monde il y a quelques jours, je me retrouve alors les deux pieds dans le sable déconnectée de toute forme de technologie.  La visite des musées de Naoshima est pour moi une réconciliation avec les formes d’art modernes, abstraites ou conceptuelles auxquelles j’étais réticente auparavant.  L’île de Naoshima, c’est également le décor aux résonnances mystérieuses et typiquement murakamiennes dans lequel le groupe de voyageurs mange ensemble dans une pénombre  nocturne avant de potiner et de s’esclaffer à l’écoute d’anecdotes sans queue ni tête dans une yourte où tous se sont réunis.
De retour à Montréal, l’horrible tube Price Tag m’écorche les oreilles dès que je mets le pied dans l’automobile de ma mère.  Le mauvais goût musical est international on dirait bien.  Je retourne donc chez moi, le cœur léger et l’esprit lourd d’images et de souvenirs.  L’hospitalité et la politesse des Japonais me manquent dès le moment où un automobiliste enragé nous coupe en nous envoyant un charmant doigt d’honneur… Ahh Montréal! 

PAR ÉLISE PROVENCHER