Présentation du blogue

Onze finissants d’Arts et Lettres accompagnés de deux enseignants, Christian Braën et Guy Bourbonnais, suivront les traces de Haruki Murakami, auteur à l’étude sur lequel ils se sont penchés avec ardeur, au Japon. Suivez-les à travers leurs textes, témoignages de découvertes, d’éblouissement et d’éveil. Ce voyage est pour eux l’occasion de se plonger concrètement dans l’univers ambivalent et onirique de Murakami.

lundi 13 juin 2011

Naoshima

Nous venons tout juste de quitter cette île aux falaises escarpées, aux forêts verdoyantes, entourée de l’océan, qu’est l’île de Naoshima. Elle nous a accueillis, sous un soleil de plomb, nous, les treize voyageurs. Après avoir fait une traversée en bateau, à travers de nombreuses autres îles, nous sommes finalement arrivés à bon port. Le soleil nous illuminant, nous avons commencé notre périple sur cette montagne de sable, en allant acheter notre repas. Ensuite, un petit tour d’autobus à travers cette petite ville nous a permis de nous rendre compte de la beauté que nous offrait Naoshima.



Le fait que nous ne dormions pas dans un hôtel, mais dans des yourtes,  ajoutait au charme que nous proposait cette île. Un petit crabe se promène dans la rue, il a peur, il s’enfuit. La plage est déserte, nous commençons à la meubler avec nos rires et nos conversations. Plusieurs se risquent dans la mer, l’eau est froide, les algues frôlent nos jambes, l’espace d’un instant, un poisson fait un bond hors de l’eau; le temps que nous regardions, il était déjà replongé sous l’eau. Nous passons la fin de notre première journée assis sur le quai, à regarder l’immensité, l’infini qui s’étend à nos pieds. L’eau est partout, quelques fois supprimée par les îles voisines.



Le soir, nous nous couchons au son des rires de la tente d’à côté et par le bruit des vagues qui vont et qui viennent, avec leur flot incessant.



La deuxième journée sur l’île, nous partons sous la pluie pour aller visiter deux musées d’art moderne, proposant autant du Claude Monet que des œuvres pour le moins étranges.

PAR SARAH-KIM BOUDREAULT

l'Art contemporain

Le sable mouillé s’infiltre doucement entre mes orteils qui frôlent l’eau de la mer salée bordant l’île de Naoshima. Les algues, dansant sous le rythme des vagues, habillent mes jambes qui s’agitent. L’eau glacée bleuit mes doigts et mes lèvres, mais le plaisir ressenti à ce moment de baignade dans la mer surpasse tout type d’inconfort. À cet instant, j’ai tout simplement l’impression de vivre. Les cris de joie de Myriam, Giulia et Charlotte se mêlent au murmure des vagues qui viennent lécher le sable fin et humide de la plage.  Je retourne dans ma yourte, grelottante comme une feuille sèche, animée d’un bien être qui me fait profiter de chaque seconde de ce moment présent.

Le lendemain, le groupe participe à la visite de trois musées d’art contemporain. L’implication du spectateur dans la majorité des œuvres égaie même les plus réticents à la tournée de  musées.  Le premier arrêt se fait au Benesse Art Museum. Alors que je reviens d’un terrain de camping, je me retrouve maintenant devant une véritable œuvre architecturale moderne. Le contraste est frappant; béton et buissons cohabitent en une harmonie parfaite. Je prends un plaisir particuliers devant les œuvres colorées ou loufoques de Warhol, Nauman et Hockney ou de celle plus conceptuelle, « Banzai Corner », de Yukinori Yanagdei, proposant une vision du Japon où l’esprit de communauté prime sur l’initiative individuelle. 



Je tombe sous le charme du Chichu Art Museum. Ici, l’architecture du bâtiment, dessinée par l’architecte Tadao Ando, se mêle littéralement aux œuvres plastiques de James Turrell, Claude Monet et Walter de Maria.  Les œuvres de Monet, exposées à la lumière naturelle dans une salle immaculée, se caractérisent par des couleurs profondes. La lumière du soleil dans la toile semble onduler sur la surface de l’eau. James Turrell, de son côté, fait de la lumière une forme d’art à part entière. Ombres et lueurs, abstraites et intangibles, deviennent ici un véritable médium artistique. Par ses jeux de lumières, certaines œuvres s’offrent à moi comme une espace infini et onirique qui me déstabilise du premier coup d’œil.  Walter de Maria, de son côté, propose un espace aux allures de 2001 Space Odyssey.  Un large escalier entouré de sculptures couvertes de feuilles d’or est reflété dans une immense sphère de granite qui trône au centre de l’immense pièce.  La lumière, que traverse l’endroit d’est en ouest, rebondit sur ces œuvres fascinantes et irréalistes. 



Je quitterai demain, avec nostalgie, ce lieu empreint d’une atmosphère particulièrement murakamienne. J’imagine Kafka longeant la rive sablonneuse rêvassant à son destin. Je vois l’adolescent du roman tournoyant sous la pluie qui rebondit sur toit de ma tante. Je crois apercevoir ce même garçon errer à travers les spectres de la forêt des montagnes qui enlacent le petit camping de Naoshima. 



PAR ÉLISE PROVENCHER

Souvenir d'Hiroshima

Le ciel s’éteint en quelques secondes. Le son lointain d’un grondement de tonnerre enveloppe le silence de la maison. Tout devient soudainement noir. Ma vie et celle de milliers d’innocents déboulent à cet instant dans un véritable abîme obscur dont l’écho des cris et des cœurs se répercute sur ses parois de cendres effritées par le feu. J’ouvre les yeux, j’ai l’impression que ma rétine reste collée à l’intérieur brûlant de mes paupières. À travers une rangée de cils clairsemés et carbonisés, je constate que ces sensations ne proviennent pas d’un cauchemar.

En tâtant le sol à la recherche de la porte, je trébuche contre un tison brûlant qui me fait perdre  l’équilibre et qui me blesse à la cheville. La douleur cuisante est insupportable. La soif étreint ma gorge enflammée. Une épaisse main de feu me caresse violemment le corps et finit par m’arracher les derniers lambeaux de vêtements sous l’impulsion d’une passion destructrice. Sous l’étroite ouverture de mes yeux agonisants, une dense fumée se faufile en volutes jusqu’au plafond de poutres de ma demeure. Je réussis, après avoir déployé des efforts surhumains, à atteindre la porte de la maison dont les murs crépitent comme un feu de camp sous l’assaut des flammes infernales.

À l’extérieur, une vision apocalyptique se présente à moi. Un ciel  rougeoyant est encombré de nuages enflammés qui couvrent l’ensemble de la ville. Le soleil et la vie sont restés enfermés dans les replis des souvenirs des survivants entre le désespoir et la colère. Une pluie d’encre noire s’abat sur la ville de cendres. Cette encre écrit le destin d’Hiroshima et scelle le souvenir de cette destruction de l’humain par l’humain. Cette même encre dévoile encore aujourd’hui la persévérance et le courage de des habitants qui ont enfin pu voir la lumière et la vie à travers les ténébreux et denses nuages. Je pousse mon dernier souffle au centre d’une véritable mer de cadavres carbonisés. Je me souviendrai d’Hiroshima. 

PAR ÉLISE PROVENCHER

Hiroshima pour toujours

Sa grand-mère lui parlait souvent de cet événement qui avait tant marqué sa ville natale. Elle avait vécu l’explosion de la bombe atomique. Elle avait vu tous ces gens souffrants, brûlés, morts. Elle disait qu’elle faisait encore des cauchemars, dans lesquels elle voyait les cadavres de sa mère et de sa sœur. Elle était âgée de seulement douze ans à cette époque, mais cet événement  avait changé le cours de sa vie. Le matin même, elle était partie, pensant que plusieurs heures plus tard, elle retrouverait sa famille pour le repas du soir. Malheureusement, cette journée-là avait été comme les autres. Alors qu’elle allait en direction du lieu où elle travaillait pour l’effort de guerre, une déflagration s’était fait entendre. Pendant ce qui lui semblait être plusieurs minutes, elle avait perdu connaissance. Trouvant le courage de se relever, elle avait marché jusqu’à l’endroit où quelques instants plus tôt, il y avait sa maison. À moitié effondrée, celle-ci était en train de brûler. Elle n’a pu sauver sa mère et sa sœur. 

C’est seulement quelques heures plus tard, que son frère l’a retrouvée.
Ils ont réussi à survivre. Leur famille avait été décimée, mais ils se sont soutenus et ont réussi à se reconstruire une maison. Pendant quelque temps, ils ont vécu ensemble, tentant d’accepter le deuil, mais lorsqu’elle a eu 18 ans, son frère est parti. Il ne pouvait plus vivre dans cette ville de souvenirs, il avait besoin de quitter sa ville natale pour tenter de trouver son bonheur ailleurs.

Chaque année, depuis qu’elle était toute jeune, sa grand-mère lui racontait cette histoire. Elle voulait lui décrire la douleur qu’elle avait ressentie à cette époque, mais surtout, elle voulait lui faire comprendre que même lorsque tout semble détruit et perdu, il y a toujours un moyen de trouver la force de réussir et de recommencer au début.

Demain, ça fera un an de plus, comme à chaque année.

PAR SARAH-KIM BOUDREAULT