Présentation du blogue

Onze finissants d’Arts et Lettres accompagnés de deux enseignants, Christian Braën et Guy Bourbonnais, suivront les traces de Haruki Murakami, auteur à l’étude sur lequel ils se sont penchés avec ardeur, au Japon. Suivez-les à travers leurs textes, témoignages de découvertes, d’éblouissement et d’éveil. Ce voyage est pour eux l’occasion de se plonger concrètement dans l’univers ambivalent et onirique de Murakami.

vendredi 10 juin 2011

Errance nocturne (nouvelle)

Mes yeux écarquillés fixent le plafond de ma chambre à coucher. J’en suis à ma cinquième heure d’insomnie. Au-dessus de ma tête flotte une lumière blafarde qui se répercute timidement sur les quatre murs de bois. De pâles lueurs, comme de véritables spectres, se faufilent dans les recoins ténébreux de la pièce exiguë.

Quatre heures du matin. Tout espoir que Morphée vienne me cueillir délicatement pour me poser dans le creux de ses bras rassurants s’est évaporé tel un rêve flou au petit matin. Je pose le pied à travers les carcasses de mes manuscrits de romans inachevés sur le sol. J’empoigne une veste en sortant et j’erre dans les rues en direction du centre-ville. Une obscurité opaque et surréaliste coule à travers les boutiques que je croise sur mon chemin. Un bourdonnement étouffé se répercute dans les confins de mon esprit et fend le silence excessif qui régnait chez moi il y a quelques minutes. Je finis par déboucher sur la rue Kawaramachi et y poursuis mon errance nocturne. Ici, l’obscurité s’effrite rapidement contre les lumières artificielles et criardes des grands magasins. Mes pupilles se rétractent au contact de cette luminosité qui perce violemment cette nuit d’encre.

Un taxi défile à toute vitesse sur ce grand boulevard rarement aussi désert. Un sillon lumineux poursuit le véhicule comme la trainée poussiéreuse et scintillante d’une étoile filante.
Je m’engage ensuite vers la petite avenue Nikishi. Tout au bout de celle-ci, un roucoulement de pigeon perce le lourd silence. J’avance en étouffant le bruit de mes pas et me camoufle derrière une distributrice de cigarettes pour éviter de me faire voir. Au bout de l’allée, une scène sortie tout droit d’un conte effrayant se déroule sous mes yeux. Une vieille dame assise sur un banc de bois lance violemment des miettes de pain à un pigeon boiteux qui exécute en vitesse des rotations autour de la dame. La volaille volatile semble narguer la vieille femme par son cri moqueur et perçant. Elle piétine, sans y porter la moindre attention, les miettes qui jonchent le sol. Me sentant mal à l’aise d’épier cet étrange événement, je toussote un peu avant de sortir de ma cachette. La dame relève immédiatement la tête. Un sourire se dessine sur son visage froissé et laisse paraître une rangée incomplète de dents carbonisées. On aurait dit les touches d’un vieux piano pourrissant dans le salon d’une maison abandonnée.

Avant que je n’aie le temps de me retourner pour fuir cette femme inquiétante, elle me fait signe de son doigt, pareil à une vieille branche desséchée, de m’approcher d’elle. Je fais plutôt l’inverse en prenant mes jambes à mon cou dans la direction opposée. Je me retourne et la vois, au loin, s’emparer soudainement du pigeon avant de le rouler dans une serviette et de le fourrer dans son sac.

J’aboutis, à bout de souffle, au cœur d’une rue d’un quartier résidentiel. Je me retourne furtivement dans toutes les directions, tel un petit animal craintif, pour m’assurer que je suis bien seul. J’emprunte une avenue étroite et sombre afin de me rediriger vers chez moi. J’aperçois alors, à l’intérieur de l’une des maisons, un éclat brillant qui se répercute dans la noirceur délavée de cette fin de nuit. Inexplicablement attiré par cet éclat, je m’approche de la fenêtre et y vois deux yeux me fixer intensément. Je reste figé là, l’espace d’une minute, à plonger mon regard dans celui de cette inconnue. Une jeune maïko finit pas entrouvrir la porte de la demeure et me fait signe de m’approcher. Son kimono négligemment ceinturé laisse entrevoir sa délicate épaule. Quelques mèches de cheveux aux reflets bleuâtres flottent comme de petits cerfs-volants sous une brise légère. La maïko se rapproche de mon visage et baise ma joue de ses lèvres carmins. Au même moment, elle glisse un petit objet dans la poche de ma veste. Alors que mes paupières sont encore closes, elle ferme la porte coulissante et s’évapore à travers les ténèbres brumeuses qui se faufilent dans sa demeure. Agité par tous ces événements étranges, j’appelle un taxi pour revenir chez moi.

Lorsque je referme la porte de ma chambre, je sors immédiatement le mystérieux cadeau de ma poche. Un petit flacon de vitre contient une luciole agonisante. Une faible lueur verdâtre s’échappe encore faiblement d’entre ses ailes. J’entends, peu après, un grattement contre ma fenêtre. Sur le parapet, est posé un pigeon dont la patte droite supporte un flacon semblable à celui que je viens d’ouvrir. Je libère l’oiseau de son emprise avant qu’il ne s’envole vers l’horizon marqué par la naissance du soleil. Étrange coïncidence : les deux flacons vitrés sont totalement identiques. En les regardant de plus près, j’aperçois qu’un minuscule morceau de papier est roulé à l’intérieur de chacune des bouteilles. Je déroule le premier : Les lueurs de la nuit ne sont qu’illusion alors que le second dévoile Les bourdonnements du silence ne sont que l’écho d’un rêve flou. Les lucioles finissent par s’échapper avant d’envelopper la pièce d’une douce lueur nocturne. Le frottement de leurs pattes crée un écho délicat à l’intérieur des chimères qui se faufilent enfin à travers ma conscience évanouie.

Fin

Par Élise Provencher

Propos en partie inspirés du récit réel de Mathieu Fortier ayant rencontré une femme capturant un pigeon à Kyoto.

La rivière (nouvelle)

Je marche dans cette ville depuis près d’une heure. Arrivée hier, tard dans la nuit, je n’ai ressenti que l’atmosphère magique qui habite cet endroit. Aujourd’hui, je vois Kyoto dans toute sa splendeur.

J’avais besoin de poser mes yeux sur quelque chose de nouveau. La perte de mon emploi et de mon meilleur ami pnt fait en sorte que ma ville natale, celle où je suis née et où j’ai vécu tant de joies et de peines, commençait à m’étouffer et à se refermer tout autour de moi. Je devais partir, m’éloigner, penser, vivre autre chose.

J’hésitais entre partir et aller me reposer sur le bord de la mer, ou découvrir un nouveau pays, ses mœurs et coutumes. En apprendre sur les autres, m’éloigner de moi-même, sortir de moi et découvrir qui sont les autres, oublier qui je suis. Le temps d’un instant, je plongeais dans un rêve où j’étais qu’une observatrice, sans corps ni âme. Je suis juste là, je peux voir, mais je ne peux pas toucher; je peux entendre, mais ne peux pas participer. Je n’ai pas hésité longtemps. Une semaine de repos au soleil aurait tôt fait de baisser la barrière derrière laquelle je me cache depuis peu, pour me ramener aux évènements des dernières semaines. J’ai plutôt choisi de venir me remplir les méninges d’une nouvelle culture et cette ville semble si parfaite. C’est vrai qu’il y a peu de temps que je suis arrivée, mais ces maisons coquettes, typiquement japonaises me font sentir chez moi. Je m’écoule au rythme de ces rivières qui coulent au centre de la ville et qui, pendant l’espace d’un instant, nous attirent à un tel point qu’on voudrait aller s’y baigner, à cause du climat chaud et humide de cette ville.
Je m’arrête un instant, le temps de me prendre un café glacé et vais m’installer sur le bord de l’eau. Un peu plus loin, de jeunes gamins s’amusent dans l’eau peu profonde, et s’arrosent au milieu de leurs éclats de rires. Je les envie d’avoir découvert cet endroit avant moi, de pouvoir, pendant leur jeunesse, profiter de ce petit coin féérique. J’aurais voulu, à cet instant, me retrouver à leur âge, entrer dans l’eau, hésiter l’espace d’un moment par la fraîcheur de ce liquide transparent et me jeter toute habillée, sans me soucier que plus tard, il faudrait que je rentre avec sur moi, ces vêtements rendus inconfortables. J’aimerais posséder encore cette insouciance, ne pas avoir à penser aux moindres détails de ma journée du lendemain. Finalement, je me lève. J’aurais pu prendre une photo d’eux, mais je décide de garder cet instant de bonheur au fond de moi, je n’ai pas envie de le partager.




Je marche en direction de mon hôtel, tranquillement, sans me soucier du temps qui passe à une vitesse effroyable dans ce coin de pays. Je finis par m’arrêter dans un petit restaurant de sushis et je mange en pensant à ma journée de demain. Très chargée! Plusieurs visites de temples sont au programme. J’ai déjà hâte de voir tout ce qui m’attend, j’ai l’impression que la moindre petite chose m’émerveille.

Un peu plus tard, je me couche en pensant que cette destination était mon meilleur choix depuis plusieurs semaine et que mon voyage sera réussi. Rien ni personne ne réussira à le troubler.

Par Sarah-Kim BOUDREAULT